L'Ecole d'Assas met à l'honneur la marche et la locomotion
Jean-Pierre Gruest Kiné actualité – www.kineactu.com - 28 février 2020
L'auditorium de l'Hôpital européen Georges Pompidou était comble le 26 février à l'occasion de la 4e édition de la conférence scientifique annuelle que l'École d'Assas organisait dans le cadre de sa
semaine internationale. La thématique choisie cette année était "la marche et la locomotion humaine" en raison de l'importance de cette activité dans notre vie quotidienne, dont la prise en charge
complexe nécessite une coopération des différentes professions paramédicales. Une soirée dense durant laquelle 15 intervenants spécialistes de la question (kinésithérapeutes, ergothérapeute,
pédicure-podologue, enseignants chercheurs, ingénieurs…) se sont succédé à la tribune pour faire le tour de la question. Morceaux choisis.
Il existe différents procédés permettant de récupérer les paramètres spatio-temporels afin de faire une analyse clinique de la marche. Que ce soit la mesure écologique ou les systèmes
optoélectronique, optique, les tapis de pression ou encore les semelles embarquées, tous ont leurs avantages et inconvénients. Le masseur-kinésithérapeute Thomas Poirier, ingénieur recherche à l'IFMK
Saint-Michel et président de la société SAMMed, s'est spécifiquement penché sur l'utilisation des centrales inertielles. Il a expliqué comment fonctionnait ces systèmes combinés de capteur, plus
particulièrement les systèmes Gait Up et mHealth, qui permettent de réaliser différents types de tests, comme la marche, le Time Up & Go, la posture, la course, le saut… "Avec ces systèmes, ce
qui compte c'est surtout l'utilisation par rapport à la pathologie que l'on veut analyser", a-t-il expliqué, exemples à l'appui, concluant qu'il "n'existe pas de système miracle qui mesure tout, bien
et sans limites", l'idée avant d'en choisir un étant de connaître les choix du fabriquant et les paramètres associés aux capteurs.
Ingénieur et cofondateur de la start-up FeetMe, Alexis Mathieu a expliqué que "la problématique de la marche attirait de plus en plus d'acteurs car la perte de mobilité est un besoin clinique
croissant encore bien mal adressé" et que "le vieillissement de la population et le développement des pathologies chroniques en font un des plus gros challenges du 21e siècle". Dans ce cadre,
"comprendre la marche et les troubles du mouvement et de la mobilité est primordial pour comprendre l'impact de ces pathologies sur la qualité de vie et donc leur progression". Pour cela, il a
développé FeetMe, une solution d'aide à la décision thérapeutique sous forme de semelles équipées de 16 capteurs de pression permettant d'avoir "des données pertinentes, sans biais, fiables et
immédiates", afin de déterminer des objectifs précis de rééducation ou dans le cadre d'études cliniques, par exemple pour prévenir le risque de chute dans l'ostéoporose.
Des experts venus des États-Unis, d'Australie et du Sénégal
Des professionnels venus de l'étranger étaient également au rendez-vous, comme l'Américain Corey Brinton, docteur en physiothérapie, qui a partagé son expérience sur l'influence de la douleur dans la rééducation de la marche via un cas clinique. Très engagé auprès des communautés aborigènes, l'Australien James Charles, docteur en podologie, a évoqué les pathologies touchant cette population, dont 90 % des hommes et 53 % des femmes présentent un pied équin et donc un fort risque de développer des entorses de la cheville.
Kinésithérapeute à Dakar, Pape Ndiaye a fait un focus sur la rééducation de la marche au Sénégal. Elle y représente en effet l'un des activités les plus fréquentes dans les unités et cabinets de
kinésithérapie. Ceci tient "en grande partie aux traumatismes, aux affections neurologiques comme l'hémiplégie consécutive à un AVC, aux problèmes traumatiques liés aux accidents de la vie privée et
aux problèmes rhumatismaux (arthrose, pathologies inflammatoires)". L'évaluation est essentiellement basée sur l'observation (boiteries) qui orientera l'examen. Pour l'évaluation de la marche,
l'observation repose sur le pas (position du membre inférieur, temps d'appui, symétrie et longueur des pas…) et la position du tronc lors des appuis (dans les plans sagittal et frontal). Il a
également insisté sur le volet psychologique de la prise en charge, qui repose essentiellement sur la communication, notamment interpatients (c'est un moyen de réconfort et de motivation mutuels), et
parfois sur la religion (99 % des Sénégalais sont croyants).
Les mécanismes du contrôle de l'équilibre
Maître de conférences HDR au laboratoire Ciams (Complexité, innovations, activités motrices et sportives) de l'Université Paris-Saclay, Éric Yiou s'est exprimé sur le contrôle de l'équilibre lors de l'initiation de la marche avec enjambement d'obstacle ; un travail expérimental qui a donné récemment lieu à une publication. "L'initiation de la marche est une période transitoire entre la position debout, statique et l'exécution du premier pas de la marche. C'est une tâche positionnelle qui permet d'analyser la fonction dont le système nerveux central (SNC) contrôle l'équilibre lors d'un mouvement volontaire qui induit un déplacement du corps", a-t-il précisé. Ce processus se décompose en plusieurs phases posturales, que l'on appelle les ajustements posturaux anticipateurs (APA), qui ont à la fois un rôle fonctionnel dans le plan sagittal (propulsion des centres des masses vers l'avant) et dans le plan frontal (maintien de la stabilité lors de l'exécution du pas).
Pour illustrer le rôle de ces APA, il a présenté une expérience menée auprès de 14 jeunes adultes visant à mettre en évidence leur adaptabilité en présence d'un obstacle à enjamber, en calculant
notamment les effets de la distance et de la hauteur de l'obstacle sur les paramètres de stabilité. "Les résultats suggèrent que le SNC est capable de prédire l'instabilité potentielle induite par
l'enjambement d'obstacle et de programmer les APA en fonction de cette prédiction de façon à assurer une progression stable du corps", a-t-il conclu.
Masseur-kinésithérapeute spécialiste en rééducation des vertiges et des troubles de l'équilibre, Thierry Guillot a expliqué en quoi
le système vestibulaire assurait la stabilité du regard et de la tête lors de la marche, et ce quelle que soit l'allure et la phase de la marche. "Les afférences vestibulaires, en plus de contribuer
à la stabilisation de l'orientation du segment céphalique dans l'espace, signalent les oscillations rythmiques de la tête dues à l'alternances des pas", a-t-il explique, citant Rossignol et al.
(2006). Cette stabilité de la tête s'explique à la fois par le réflexe vestibulo-oculaire, le réflexe vestibulo-spinal et le réflexe optocinétique, qu'il a décrits.
L'analyse des paramètres spatio-temporels
Dans son intervention, le masseur-kinésithérapeute Arnaud Gouelle, PhD et responsable de la Gait & Balance Academy (ProtoKinetics), a présenté de façon très originale la spécificité des paramètres spatio-temporels (PST) de la marche selon les individus. Un exposé mené sous forme d'enquête pour savoir, à partir d'empreintes de pas, qui des 4 frères Dalton avait mangé un plat de spaghettis. En analysant différentes données (vitesse moyenne, longueur de pas, cadence, asymétrie de longueur de pas, largeur d'enjambée…), il a ainsi identifié un coupable…qui ne l'était pas finalement ! "La vitesse de marche ne vous dit pas du tout de la marche de vos patients. L'analyse des PST doit être multidimensionnelle et mettre en relation les différents éléments", a-t-il conclu, insistant sur le fait que "la variabilité de la marche est un élément primordial de cette analyse".
Les bénéfices de la thérapie manuelle HBVA
Kinésithérapeute et enseignant-chercheur bi-appartenant ARS Île-de-France-ENKRE, Romain Artico a consacré ses 10 minutes de temps de parole au processus d'acquisition de la marche et son altération en fonction du vieillissement, lors desquelles il a notamment insisté sur la nécessité et les avantages du contrôle moteur anticipé. Son confrère Sébastien Ditcharles, également enseignant-chercheur bi-appartenant ARS Ile-de-France-ENKRE, a davantage axé son intervention sur le soin, en montrant les bénéfices de la thérapie manuelle de gain articulaire par manipulation à haute vélocité et faible amplitude (HBVA). Il a notamment énoncé ses effets neurophysiologiques et sur l'amplitude articulaire rachidienne, mais aussi sur le rachis (thoraciques basses, thoraco-lombaire, lombaires, sacro-iliaques…) et les membres inférieurs (hanche, genou, tibio-fibulaire…). Selon les dernières études cliniques publiées à ce sujet, "ce type de techniques permet de récupérer des mobilités articulaires, du tonus musculaire ou une diminution des douleurs suivant les zones traitées", a-t-il affirmé, précisant qu'elles ont "toutes leur place dans un programme de rééducation de la marche".
Les troubles de la marche chez l'enfant
Cette problématique a été abordée par le Dr Ana Présédo, du service de chirurgie orthopédique de l'hôpital Robert-Debré, à Paris. "La marche de l'enfant est très variable, cette variabilité étant liée au développement de l'enfant", a-t-elle expliqué, avant de montrer, vidéo à l'appui, l'évolution de l'acquisition de la marche à 12 mois (petits pas avec cadence et double support augmenté, attaque à plat), 18 mois (contact initial par le talon), 2 ans (flexion du genou pour amortir le transfert du poids du corps, 3 ans et entre 2 et 4 ans (avec une cinématique de la marche quasi similaire à celle de l'adulte). Elle a enchaîné en expliquant que "les inquiétudes parentales concernant la marche représentent le motif de consultation le plus fréquent en orthopédie pédiatrique". Ces "anomalies" de la marche correspondent dans la plupart des cas à des variantes physiologiques du développement, qui évoluent avec les modifications de la morphologie des membres inférieurs pendant la croissance. Ainsi, le genou valgum physiologique se développe entre 2 et 6 ans et, vers 3 ans, il est fréquent d'observer un angle du pas en dedans lié à l'antéversion fémorale du petit enfant.
Si les causes des troubles de la marche sont multiples, elles sont le plus souvent orthopédiques (ostéochondrite primitive de hanche, épiphysiolise de hanche…) et infectieuses (arthrite sceptique,
spondylodiscite…). "L'écoute des parents et l'examen clinique restent les moyens les plus efficaces pour déceler des anomalies. La réalisation de vidéos de marche peut aider à mieux observer et
analyser les troubles de marche. Et, surtout, il ne faut pas hésiter à adresser l'enfant vers un service spécialisé en cas d'un trouble de marche récent ou d'une boiterie qui persiste."